lundi 5 avril 2010

UNFINISHED

A 25 ans, j'avais décidé de commencer à me droguer pour pouvoir écrire mais je changeais d'avis après une mauvaise descente, ce qui arrive souvent aux gens trop raisonnables.
Je commençais à écrire par frustration, non pas sexuelle mais sentimentale. Un défaut à cultiver. Il rend plus amer mais aussi plus incisif et forcément plus distant. Lassée déjà des aventures sans lendemains, je décidais de m'attacher à la contemplation de mes contemporains, pour leur voler un peu d'intemporalité et gagner ainsi ma place au panthéon des écrivains d'une Oeuvre.
A cette époque je sortais beaucoup. Comme tous les pseudo-écrivains maudits, j'espérais ainsi combler mon manque d'inspiration en vivant des situations tangentes. En pur bébé post punk, j'avais grandi sans même le savoir dans la nostalgie des trente glorieuses couronnées par l'explosion de débauche des années 80. Je sortais donc à Paris par curiosité, afin surtout de savoir si quelqu'un allait un jour finir par ressusciter le mythique Palace dont on nous rebattait les oreilles à longueur de copies reviews. Dans un esprit un peu spectateur, un peu revanchard, j'attendais l'avènement de ce Nouvel Eldorado tout en sachant pertinemment que cette quête se révélerait infructueuse. Je voulais voir renaître les orgies, sentir la piqûre de la cocaïne dans mon cerveau et l'odeur du sang sur mes bras entaillés, mélanger l'alcool avec tout ce que les chimistes les plus dégénérés auraient pu imaginer, mixer des corps avec des poils, perdre le sud et vomir des imprécations philosophiques. Assister enfin, aux premières loges, à l'effondrement tant prophétisé de notre civilisation décadente. J'ai toujours aimé les feux d'artifices. Comme c'est souvent le cas dans ce genre de situation, rien n'arrivait à point. Pour tout dire, je trouvais même ma génération assez décevante, incapable de produire des génies alors qu'elle avait selon moi presque tout pour le faire. Nous étions sociologiquement à point : pas d'avenir, plus de repères moraux, des parents attardés dans la jeunesse, des guerres et des maladies plus destructrices que tout ce que l'on avait jamais produit jusque là et un statut de spectateur impuissant devant ce gâchis. Mais notre vénalité n'était pas encore suffisamment brodée de décadence - pourtant peu s'en fallait - pour nous donner l'énergie du désespoir. J'étais donc jalouse des Romantiques, des Romains, des Ottomans et même des Aztèques, dont les vestiges ressuscitaient aujourd'hui leurs splendeurs, alors que j'étais condamnée, moi, à vivre mon existence entière dans la queue de la comète sans pouvoir assister à son crash.